Pfff ....Ça fait 3 jours que je reçois rien, que je suis là comme un con, à donner de l’air frais à une tomate qui pourrit tranquillement. Son jus fait doucement une auréole bien acide sur la vitre du bac à légumes… Si on ajoute le morceau de beurre rance et le chutney de mangues ouvert depuis des plombes, on peut pas dire que je sois au sommet de ma gloire.
J’ai connu des jours plus heureux. Et oui, quand elle va bien c’est plutôt Byzance : légumes à foison, du fromage en veut tu en v’là et le p’tit must parfois de bons yaourts, genre desserts au chocolat… Hmm. Je résonne des papiers froissés du marché, des feuilles de salade qui crissent, pleines de terre, les bouteilles de bière s’entrechoquent dans un tintement cristallin et même des fois un petit Chardonnay vient égayer la boutique !
Quand Elle est là, ma porte s’ouvre et se ferme, je me vide petit à petit, tellement heureux de l’entendre cuisiner en chantonnant sur fond de musique rock ou jazz. Elle improvise un peu, sort des aliments, les remet quand ils ne lui serviront pas, émince ceux qui vont dans la recette. Martèlement régulier du couteau, casseroles qui chantent, ébullition des liquides. Ça tâche, ça chauffe, la petite pièce sans aération se remplit de buée. Elle est aux anges.
On toque à la porte, une voix masculine, ils s’esclaffent, dansent à deux, goûtent au plat. Il se répand en compliments. Le doux plop d’une bouteille qu’on débouche. Les fourneaux s’arrêtent, ils s’assoient pour manger. Entre deux bouchées des petits gloussements, des baisers langoureux, de légers soupirs…
Et voilà qu’un jour l’autre décide d’aller faire sa vie ailleurs… Et ça recommence, Elle va se laisser dépérir. C’est reparti pour quelque temps, l’effet petit vent de banquise à perte de vue, quand elle ouvre ma porte sans conviction. Ah ça, un chagrin d’amour n’a jamais rempli un frigo !!
***
Le Frigo – 2
Et c’est reparti… La porte s’ouvre et une tête dans l’ouverture me regarde avec douceur. Ah non… il regarde les bières. Il en prend une, me referme et s’en va.
Les Habitants de la coloc m’ont relégué dans la pièce du fond, la buanderie, à côté du cabinet d’aisances. Je passe ma vie à regarder la machine à laver tourner sur elle-même et j’envie terriblement l’étagère d’à côté qui regorge de boîtes de conserve. Je suis le frigo à bières… celui qui se meurt tranquillement la plupart du temps, mais qui a, tout de même, il faut l’avouer, un sacré rôle à jouer pendant les fêtes que donnent les Habitants.
Alors là, je n’arrête pas, je suis un Tetris vivant, entre cannettes en métal, cannettes en verre, grandes bouteilles, vins blancs et rosés… L’été, je peux même me payer le luxe d’abriter brochettes, merguez et autres grillades marinées !
La machine à laver fait un peu la tronche parce que bon, qu’est-ce que je me marre ! Ça me change de sa spirale infernale…
Au début de la soirée, ils sont bien les Habitants, ils gèrent leur truc. Ça se retrouve à coup de grandes claques dans le dos et d’embrassades et vas-y que je te sers un verre, ah bah une bière, va te servir dans le frigo du fond, la pièce à côté des toilettes ! Et c’est le défilé, on m’ouvre doucement, ou d’un coup sec, on hésite devant les plaisirs que j’ai à offrir, on se tâte on se décide, on ferme la porte, qu’on rouvre parfois aussitôt, on avait oublié de prendre une bouteille pour Machin.
Les heures tournent, et moi je me vide, mais eux se remplissent. Les pimpants du début commencent à tanguer, ça manque de tomber en arrière en ouvrant la porte, ça hésite longtemps même s’il ne reste que le pack de Kro dont personne ne veut… Ils se retrouvent à deux, puis trois, ça papote ça me laisse ouvert, ça s’esclaffe ou ça se roule de sacrées galoches… Quelques-uns se confient à moi parfois, je sens bien l’importance de mon rôle à ce moment-là, mais je regrette tellement de ne pas pouvoir leur répondre.
Petit à petit, j’ai de moins en moins de passage. Les derniers survivants ne se rappellent même plus de leurs noms, des fois quelqu’un vient installer son lit de fortune à mes pieds, faute de place dans le reste de la maison. Et là, quand enfin tout le monde dort, que les ronflements sifflent à l’unisson, dans une odeur de cendrier alcoolisé, je soupire d’aise en me disant : Vivement la prochaine !
J'adore! Ça me rappelle des souvenirs. Je ne verrai plus mon frigo de la même manière maintenant.
RépondreSupprimerSi les frigos pouvait parler, on arrêterai de boire.😁
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