vendredi 17 avril 2020

Et ce meuble en carton !
Toujours là…
Un souvenir encombrant…
Le jeter ? l’accepter ? :
Jugement dernier
Il le laisse derrière
Dernière pensée
Tomber dans son oubli
Et pourtant et pourtant…


Dans ce vieil appart, il l’oublia.
Eteints la lumière,
Prends ces bagages,
Ferme la porte,
Verrouille,
Vérifie.
L’ascenseur est encore en panne,
En panne pour la dernière fois,
Pour lui...
Descend les escaliers,
Ouvre la porte cochère
Sa rue, ses passants
Pressés, débordés, aveugles.
Un arrêt sur la marche,
Un chek de son tel…non, rien… plus rien, pas de nouvelle d’elle
Mise en veille de cette machine à torture
Plongeons sur le trottoir,
Sa valise roule.
Il est invisible.
Seul avec ce qui roule.
Entouré du bruit des klaxons, des moteurs
Des gens qui parlent forts
Des bandes d’amis
Qui l’évitent
Il lévite,
Slalome entre sein d’esprits
Danse des pavés
Chorégraphie connectée
Codes innés
Passant parmi les passants.
Dernier coup d’œil
Au coin de la rue,
C’est fini.

Dans la nuit de l’appartement
Echo de la serrure
Pas qui s’éloignent dans les escaliers
Et là au milieu de la pièce,
Ce meuble en carton.
Dernier vestige d’un temps dépassé
Dernier vestige de ce qui a été
De ce qui n’est plus
De la patience de ces mains
De son attention
De son application
Ce meuble en carton
Ce cadeau
Témoins des rires
De sa joie, à elle
De sa joie, à lui
Au bienheureux
Au bien-pensant
Maintenant
Trop encombrant
Maintenant inutile.

Ce meuble en carton.
Il fut un temps
Mais c’est maintenant.
Et c’est fini.

lundi 13 avril 2020

Un livre







BORÉAL est mon nom
de Paul Emile VICTOR.
ouvrage de chevet fût ma tàche d'abord.
ainsi lu et relu pour le plaisir d'alors ...
Puis sur une étagére d'une chambre d'ado
commença une vie un peu végétative ,
Une ado de 15 ans pour un livre est trop vive , 
sauf à réver le soir ,allongée sur le dos.
Dans son 1er studio  sur une autre étagére 
pensais peut-étre un jour achever ma carriére 
mais c'était douter là de ma propriétaire .
L'honneur me fût rendu au 2 piéces suivant 
trouvant enfin la place que méritait mon rang.
Une biblithéque en bonne compagnie 
Entre 2 exilés,HUGO et VALERY.
Le 1er pour de vrai, l'autre de Poésie.
Il fallut 3 appart.et un bon demi siécle.
pour étre enfin classé non plus section Poétes 
Mais voyages aventures, 
Explorateurs honnétes.
Mais quand avec respect sont "éffeuillées" mes pages.
La main est devenue avec l'age plus sage.

Le coeur en nouilles





Un cœur en nouilles roses collées sur un carré de carton peint en bleu avec ces mots tracés au feutre noir d’une écriture de maîtresse « Bonne fête, maman », le tout badigeonné de vernis jaunâtre. 
Voilà l’objet qui à chaque rangement de printemps te saute dans les mains.

Pourquoi une maîtresse a-t-elle imaginé et fait réaliser à une vingtaine d’âmes innocentes cette chose censée représenter l’amour pour leur maman ? Cet objet serait-il un clin d’œil d’une rebelle féministe ? 

Il t’interroge de toute façon, toi qui a été si émue quand ta petite ébouriffée te l’a donné avec tant de fierté il y a des lustres.

D’abord attendrie, tu as posé la carte sur une étagère du buffet de la cuisine ; embarrassée tu l’as rangée dans un tiroir de ton bureau ; dépitée, tu l’as enfouie dans une boîte de photos à classer, et vaincue, tu l’as abandonné dans un carton dédié aux objets à trier avant déchèterie.

Mais là, tu ne peux aller plus loin dans la trahison. Tu reprends le cœur délavé et d’un geste furtif le replace dans le dossier « à faire »

Tu prends ta guitare, tu as trouvé ! Ta prochaine chanson pour enfants : l’histoire d’un cœur en nouilles rencontrant dans la forêt des objets trouvés un cœur d’artichaut ! 

Objets inanimés...



Que les objets inanimés aient l’âme sentimentale, elle le savait depuis
toujours, la faute à Lamartine que sa mère aimait citer souvent,
seulement le premier vers, l’œil rêveur et la voix tremblante.
Au cours de ses études elle découvrit la suite et elle comprit pourquoi
depuis toujours elle avait peur. Les objets possédaient la force et le
pouvoir. Dès lors elle ne cessa de combattre.
Car les objets avaient leur vie propre. Ils choisissaient d’apparaître ou de
disparaître selon leur fantaisie. Parfois c’était anodin ou simplement
pénible : les clefs de voiture introuvables juste le jour où on est
particulièrement pressé, ou les lunettes, voire le bouquin essentiel qu’on
devait emporter. Elle avait trouvé des parades : plusieurs jeux de clefs
pour la voiture, des lentilles de contact à la place des lunettes, les livres
en pile sur le bureau. Quand elle retrouva son dernier trousseau de clefs
dans le réfrigérateur derrière les steaks, elle comprit que les objets
s’amusaient beaucoup à ses dépens. Après tout, c’était pas bien
méchant et plutôt drôle. Elle leur assigna d’office un périmètre de
confinement dans lequel ils pouvaient s’ébattre à leur aise, et elle fut
relativement tranquille à condition de rappeler les règles à la moindre
tentative d’incartade.
Les plus dangereux finalement étaient ceux qui restaient sur place. La
vie sourdait d’eux en halo, et il suffisait que l’un d’eux accroche son
regard pour qu’il déverse en elle tout ce qu’il contenait : des odeurs, des
sons, des inflexions de voix, des vibrations de sourires, des lueurs de
paysage, les couleurs d’un moment unique. C’était souvent beaucoup
trop fort. Il y eut même un objet tellement puissant qu’elle fut obligée de
le cacher au point d’en perdre la trace. Mais il luit quelque part. Et elle
sait qu’il réapparaîtra un jour, elle s’y prépare.
En attendant elle ne garde autour d’elle que les objets-bonheur, les
plus fragiles, les coups de cœur, car la courbe nacrée d’un gobelet peut
parfois consoler du bonheur perdu parce qu’il le fait vivre à jamais.

Faire le tri



Chaque été, on les voit arriver dans la cabane et on l’entend lui : «Allez il faut faire un tri ! Il faut faire de la place, le vide ! »  Elle, elle le suit, d’un pas décidé. Elle a dit que oui bien sûr, il a raison, il faut faire le vide, on entasse trop de choses au fil du temps. Allez, oui, d’accord ! C’est parti. On prend un caisse, puis deux, on essuie, on transvase d’une caisse à une autre, on sort des sacs poubelles, ça on jette, ça on garde. Il a l’air ravi qu’elle accepte de se débarrasser d’autant de choses d’un seul coup. Il en profite. Allez, on enchaîne !  Mais, il ne voit pas lui que, petit à petit, son visage à elle se ferme. Que les larmes montent aux yeux. Qu’elle est loin dans ses pensées, dans ses souvenirs. Elle a revu les habits de bébé de son fils, elle retrouve des cadeaux de ses élèves, elle retrouve toutes les lettres d’un temps lointain, de ses parents, de son frère. Elle en relit quelques unes et elle se met à pleurer. Non ça je garde ! Ca aussi ! Ca encore ! Ca y est ça recommence...C’est fou comme elle peut être nostalgique ! Chaque objet la renvoie à ce qui était et qui n’est plus. Un petit rien peut la faire pleurer. C’est pour ça qu’elle n’aime pas tellement son anniversaire, qu’elle n’a jamais aimé les premiers de l’an. Pour beaucoup c’est un de plus, c’est un renouveau, un commencement de quelque chose. Pour elle c’est un an de moins, c’est s’éloigner un peu plus de l’enfance, de sa jeunesse, pour elle c’est la fin de quelque chose. Alors trier et jeter les objets, c’est trop dur. C’est renoncer au temps d’avant et ça, elle n’est jamais vraiment prête. Alors elle repart avec les objets qu’elle a redécouverts, elle les range ailleurs dans la maison et lui, les bras ballants, se dit parce qu’il l’aime comme elle est, que ce n’est pas grave, qu’il tentera à nouveau l’été prochain.

Secrets

Je le vois bien ton air perplexe à chaque fois que tu me (re)trouves, que tu me (re)touches, que tu me tournes et retournes dans ta main !
Rappelle-moi, rappelle-toi pourquoi tu me trimballes depuis toutes ces années ! 
C’est pas que je m’ennuie, j’ai plein de colocataires : 2 balles de ping-pong, un sachet de punaises multicolores,  un aimant qui a fini par s’attacher à un clou solitaire blotti contre lui, un bouton dans un petit sachet plastique, 2 gommes et d’autres « trucs » méconnaissables ainsi qu’un tout petit « guide des trucs, offert par les 3 Suisses ».
Est-ce aujourd’hui que je vais retrouver ma place dans le puzzle de ta mémoire ? 
Aujourd’hui, c’est le jour de l’année que je préfère.
Une fois par an, tu grimpes en haut de ton escabeau à la recherche d’un papier archivé ou d’un fragment de bolduc et tes mains rencontrent la boîte.
Tu l’empoignes, tu oublies pourquoi tu es montée sur ton escabeau, tu t’assoies et regarde avec délectation le couvercle où il est écrit « cherche pas, c’est là ! ». Ben oui, forcément après tout ce temps tu en as encore oublié le contenu…
Tu trifouilles, tu souris, tu t’amuses à (re)feuilleter le petit guide des trucs offert par les 3 Suisses, et puis tu me (re)trouves. Comme d’habitude, comme chaque année tu t’interroges…quels secrets  pouvaient bien protéger ces deux minuscules cadenas et leurs clefs, reliés par un lien en plastique ?
Tu me caresses, pensive. Tu me reposes doucement dans la boite...L’année prochaine, peut être…

L'objet



Mylène monta en haut de la déchetterie et déchargea ses deux grosses caisses de la voiture. Dans la benne du tout-venant, elle vida la première caisse, puis juste avant de vider la deuxième caisse de vieux bibelots, vaisselle ébréchée et autre Tupperware sans couvercle, elle reprit cet objet étrange dans sa main…
Elle avait hérité de la maison de vacances de ses parents dans le sud de la France. Sa mère aimait faire les brocantes. La maison était remplie de meubles anciens, de vaisselle des années 50 et il y avait même un aspirateur qu’on pouvait utiliser alternativement en tant que mixeur.
Globalement, les objets de la maison avaient une fonction. Sauf les œuvres d’art : Il y avait des tableaux. Ceux des peintres locaux que ses parents avaient voulu soutenir. Il y avait quelques sculptures en bois aussi : une représentation de Saint-François-d’Assise (son père s’appelait François) d’une hauteur de presque un mètre et une plus petite qui représentait la vierge.
Mais l’objet qu’elle tint dans la main n’était ni utilitaire ni une œuvre d’art. Elle l’avait vu traîner à différents endroits de la maison lorsque ses parents y habitaient encore et qu’elle leur rendait visite en été : sur divers bords de fenêtre, sur le rebord de la cheminée ou sur l’immense étagère des disques vinyle. Ses enfants l’avaient utilisé pour l’inclure dans leurs jeux de construction ou en guise de montagne autour de laquelle ils faisaient circuler leurs voitures miniatures. 
C’était un objet d’une longueur d’à peu près 15 cm et d’une épaisseur de 3 à 4 centimètres à l’endroit le plus épais. La matière était une sorte de plastique. On aurait dit que quelqu’un avait pris une mèche de bougie, l’avait suspendu et lui avait appliqué un matériau, une sorte de plastique, qui coule un peu et qui durcit à l’air ensuite. Le matériau avait été appliqué en plusieurs couches, chaque couche d’une couleur différente, jusqu’à obtention d’une forme de goutte irrégulière. Puis, une fois durci, l’objet avait été coupé en deux : on voyait encore les restes de la mèche à l’intérieur. Puis les différentes couches de couleur. Elle s’était toujours demandé où ses parents avaient bien pu récupérer cet objet : lors d’une visite dans une usine de fabrication peut-être ou peut-être était-ce déjà dans la maison quand ils l’avaient achetée ? 
Rentrée à la maison, Mylène reposa l’objet sur la planchette au-dessus du radiateur, à côté du canapé.

This Is Just To Say




Elle devait apprendre cette poésie de William Carlos William au Gymnasium. Elle l’avait tellement répétée à haute voix que ses sœurs étaient capables de la scander en cœur avec  elle à travers la maison, sans qu’aucune d’elles conçoive la délicatesse des paroles :
This Is Just To Say


I have eaten
the plums
that were in
the icebox


and which
you were probably
saving
for breakfast


Forgive me
they were delicious
so sweet
and so cold

jeudi 2 avril 2020

L'arbre

Lui, il est dans l’arbre
Elle, elle est un peu à côté
Son tronc est puissant
Prend racine dans la terre
Il sait où il habite
Elle, elle habite un petit peu à côté
De temps en temps elle bouge
Quelques pas à droite
Quelque part à gauche
Elle ne se rappelle pas très bien
Où elle habite
Ce n’est jamais exactement
Au même endroit
Alors, il ouvre ses branches
La protège
lorsqu’elle
En a besoin
S’il lui fait trop d’ombre
Elle fait un pas à côté
Elle fait un petit tour
Et lui raconte
Ce qu’elle a vu
Ça le fait frissonner
De vie

mardi 31 mars 2020

L'objet

L'objet

Continuons un peu notre exploration de la maison. C'est une exploration sensible, codée. De multiples objets s'y sont accumulés, même dans les lieux les plus épurés.
Il y a cet objet, cet objet dont vous ne vous êtes jamais séparé. Bibelot, cadeau, objet de déco, il vous a suivi lors de tous vos déménagements. Vous l'aimez ou le détestez, mais au moment de le faire disparaître, de le donner ou de le casser, vous reculez.

Cet objet porte en lui un fragment de l'histoire de votre personnage.
Votre personnage, sur le point de déménager ou bien alors qu'il s'installe dans un nouveau lieu retrouve cet objet et se souvient.
Bien sur, toujours pas de "Je".
et toujours entre quinze et vingt lignes.

dead line vendredi prochain!



Tu as une belle robe


Il l’avait connu dans des circonstances formidables.

Il avait fait une partie de ses études en Chine. Un jour il y avait vu cette femme resplendissante et l’avait suivi. Lorsqu’elle s’est assise sur un banc, il resta à distance et s’adressa à elle dans son meilleur chinois. «你有一件漂亮的衣服»,  lui dit-il, sur un ton timide.
La femme ne réagit pas. Elle était …Coréenne. C’est l’autre, celle d’à côté qui se retourna et lui adressa un sourire.
C’est comme ça qu’ils sont devenus amis.
Aujourd’hui, elle habite à New-York. Il regarde la photo qu’il a gardé toute une vie et qu’il a emportée dans son nouvel appartement. Il avait vendu sa maison. De la recette de la vente, il a dépensé une moitié pour s’acheter un appartement. L’autre moitié ,il l’avait mis de côté pour son pèlerinage. Il avait prévu d’aller la voir. Puis il y a eu le cœur qui a lâché. Au moment où il devait partir. Deux ans de  traversée du désert. La photo lui servait de luciole, de goutte d’eau pendant la traversée. Finalement il arrive à remarcher avec une canne. Il est heureux. Cet été, quand ce bordel de virus sera fini, elle viendra le voir en France.

WC




Les gogues, les chiottes, latrines, cabinet d’aisance, toilettes, WaterCloset, le trône, le pot ...
Autant de mots pour définir ce qu’au fond nous n’osons que rarement mettre en valeur. Le cabinet caché, celui du moment un peu honteux qu’on a du mal à assumer.
Les puissants de ce monde y vont comme les insignifiants, les riches, les pauvres, les noirs, les blancs ...
Et pourtant, à nos débuts ça commence par les cris d’extase des parents quand enfin on arrive à « faire dans le pot », on s’expose (quid de ces moments où les jeunes parents vous exposent le saint graal de leurs enfants : « T’as vu ? il y arrive ! ») puis lentement on nous fait comprendre que l’exercice se doit d’être caché, c’est un peu honteux. Les petits vents lâchés malencontreusement en public sont vite réprimandés.
Se repoudrer le nez, Faire ses besoins, la grosse ou la petite commission, avoir le cigare au bord des lèvres, avoir les entrailles en folie, la courante ... tant de contournements pour désigner l’indésignable !
Et les manières de s’y coller sont aussi nombreuses : ceux qui se pressent en ayant l’impression de commettre un délit, vite vite, je ne veux pas être soupçonné(e) ! Ceux qui prennent leurs aises, y vont avec lectures, et pourquoi pas cigare ou pétard, de quoi passer un moment de détente. Ce qui tapissent l’eau de papier pour ne pas faire de bruit, restons discrets. Ceux qui s’en foutent et que le bruit ne dérange pas, c’est naturel hein !
Au fond, s’il est bien une chose que nous avons tous en commun c’est celle de se soulager, et l’allure qu’à nos toilettes nous donnons, nous révèle bien plus que ce que l’on pense ...

Énigme


Elle était toute excitée, enfin elle allait percer le mystère de ce lieu qui ne mène nulle part. Alors qu'elle avançait vers la porte, elle se rappelait toutes ses tentatives antérieures. Elle se souvenait la première fois ; la porte était restée ouverte, sans doute une mégarde de maman, ses petits doigts s'étaient glissés dans l'entrebaillement et son corps avait suivi. Elle avait découvert une protubérance blanche qui jaillissait du sol, ses mains avait tâté tant et plus: froid et aucune tétine. Puis, des bras l'avaient arraché à son exploration. Première constatation : on ne rentrait pas là-bas pour se nourrir. 
Un jour, elle dépassa l'horizon des chevilles pour celui des genoux, une nouvelle perspective pour sonder ce lieu mystérieux. La protubérance était creuse, avec de l'eau au fond de sa bouche. Étrange. Au fil de l'investigation, elle put observer que les visiteurs du lieu s'asseyaient sur la protubérance. Peut-être était-ce un banc ? 
Aujourd'hui c'était le grand jour, elle s'était entraînée sur tous les sièges à sa disposition, cette grimpette ne serait pas un obstacle sur sa voie de la connaissance. Elle posa ses deux petites mains sur le rebord froid, bascula d'un côté puis de l'autre et réussi à se mettre en équilibre au bord de ce siège troué. C est alors qu'elle se sentit aspirée, son joli postérieur dodu plongea vers le gouffre, cette énorme et glaciale bouche blanche allait elle l'engloutir? Elle sentait déjà l'eau lui chatouiller le bas des reins, elle songea alors qu'elle ne comprenait toujours pas ce que l'on venait faire là.

lundi 30 mars 2020

Ô temps suspends ton vol...


C’était le seul endroit où elle pouvait penser à lui et pleurer sans crainte. Elle sortait alors de sa poche la photo qu’il avait prise d’elle sur le pont. Elle la gardait toujours sur elle, dans la poche de sa robe, celle qu’il aimait tant. 
Cet endroit le plus intime de la maison était le lieu où elle s’autorisait à penser à lui, à l’aimer à nouveau. Elle se regardait dans le petit miroir au dessus du lave-main, imaginant son regard vibrant posé sur elle. Elle fermait alors les yeux et essayait de retrouver la chaleur de ses baisers. 
Cela n’avait duré que quatre jours mais ce furent les quatre jours les plus heureux de sa vie. Quatre jours d’abandon de soi. Quatre jours éternels. Elle avait failli tout quitter et le rejoindre. Elle l’avait vu, là, sous la pluie, mais elle n’avait pas osé les abandonner... Elle, la femme au foyer si sage, elle, la mamma italienne, comment pouvait-elle imaginer laisser ses enfants ? Qu’aurait-on dit ? Elle avait déjà quitté son métier de professeur à la naissance de leur premier enfant. Et ce jour-là, elle s’était à nouveau sacrifiée, abandonnant ainsi tous ses rêves de liberté, renonçant ainsi à l’homme de sa vie. Elle avait pourtant fait sa valise. Mais la raison et le qu’en dira t-on l’avaient emporté. Elle était revenue à la routine, à la réalité.
Où était-il aujourd’hui ? Sûrement dans un de ces pays lointains dont il aimait tant lui parler. Pensait-il encore à elle autant qu’elle pensait à lui ? Leur amour aurait-il résisté au temps ? Ne se seraient-ils pas lassés ? Une chose était sûre : elle avait aimé. Et “ce genre de certitude, on l’a une fois dans sa vie”.
Ses enfants et le devoir qui l’appelaient la faisaient alors sortir de sa rêverie mélancolique. Elle séchait ses larmes, rangeait l’unique preuve de cet amour inoubliable dans sa poche, déverrouillait le loquet et les yeux rougis, quittait ce lieu qui la ramenait irrémédiablement vers ce vertige irrésistible pour retourner à son existence ensommeillée.

Severus Rogue



Cape tourbillonnant derrière lui, le Professeur Severus Rogue marchait d’un pas vif et décidé. Les élèves s'écartaient sur son passage, craignant de s’attirer ses foudres. Tous pensaient que leur professeur de potions retournait dans son bureau afin de surveiller les retenues du jour :  faire récurer à la main les chaudrons par les élèves ou faire retirer la bave de crapaud des tables… Severus Rogue ne manquait jamais d’imagination !


En réalité, Rogue avait confié toutes les retenues à ses collègues. Il était en fait en train de se précipiter vers ses quartiers afin d’observer les résultats de sa toute nouvelle création. En d’autres termes, constipé depuis 11 ans, Rogue venait d’inventer une potion qui lui permettrait enfin de se soulager, du moins il l’espérait.


Arrivé dans ses quartiers, il se débarrassa de sa cape, alluma un feu dans la cheminée d’un mouvement de baguette et s’assit dans un fauteuil, potion dans une main et parchemin dans l’autre. Etait-il prêt ? Prêt à accepter la mort de Lily ? Car, pour que la potion fonctionne, Rogue devait penser à elle, à ses cheveux flamboyants, ses yeux verts et son sourire, à sa main tendue. Elle avait été sa seule amie et il l’avait tuée. Il n’était pas prêt. Il ne méritait pas le soulagement.


Une violente douleur au ventre lui coupa le souffle. Plié en deux, les oreilles bourdonnantes, une odeur lui chatouilla les narines. Une odeur de lilas. C’était un signe. Le signe.


Severus Rogue se leva, décapsula la fiole et avala son contenu, une potion grisâtre à l’odeur douteuse et au goût écoeurant. Tout en pensant à Lily, il reposa la fiole sur la table basse. Il devait la laisser partir. Pour elle, pour son fils qui arriverait demain et surtout, pour lui. 


Assis sur les toilettes, plume et parchemin en main, il attendit que la potion fasse son effet. Puis soudain, le soulagement total. L’extase. Libéré d’un poids, Severus Rogue était enfin libre.