lundi 14 mars 2022

Que d'eau ! Que d'eau ! (4)

 atelier 4



Consigne: une histoire d'amour sur le thème des eaux usées


LE TEMPS DES CERISES

 

C’est à Charmes sur Céz que se sont rencontrés mes parents,  un village réputé pour ses cerisaies. Comme de nos jours, au printemps, les vergers en bord de la rivière Céz connaissaient une merveilleuse floraison. Cette explosion de fleurs attirait une foule de curieux des régions voisines. Profitant de ce moment féérique, la jeunesse flirtait sur les tapis de pétales blancs. Entre les regards échangés et les promesses légères, certains franchissaient le pas et se donnaient rendez-vous à la récolte prochaine. Quarante jours à patienter fiévreusement avant de se retrouver…

 

Ma mère, arrivée du nord du pays, comptait rester quelques mois occupée à la cueillette des griottes et bigarreaux. Tôt le matin, elle rejoignait ses compagnons de travail. Les rues résonnaient de « Bonjour » joyeux. Aux champs, grimpés sur des échelles, ils cueillaient et leurs paniers se remplissaient. Mais pas si vite que cela car en parlant ou chantant, ils mangeaient aussi beaucoup de ces fruits rouges, juteux et si sucrés ! Certains ne se donnaient même pas la peine de cracher le noyau… ils l’avalaient tout simplement ! 

 

Toutes ces cerises englouties les obligeaient à se rendre très souvent aux toilettes publiques du village. L’installation sommaire devait gérer un flux inhabituel.  Les chasses d’eaux évacuaient ces matières vers un unique collecteur jusqu’à un filtre général où ce qui n’était pas élément liquide se déposait en couche épaisse. C’était le travail de mon père d’assurer l’entretien et le nettoyage quotidien du filtre. Son rôle était indispensable car s’il devait, en cette saison, s’absenter plus d’une journée, le village retenait son souffle. Tous les noyaux de cerises accumulés, stoppés par le filtre, bouchaient le système. Ne pouvant plus s’écouler jusqu’à la rivière, les eaux sales remontaient à leur lieu d’origine. Il s’ensuivait des effluves dont l’odeur masquait celle des cerises à maturation ! Pour les habitants, la vie à Charmes alternait entre des senteurs florales ou fétides…

 

En fin d’après-midi, quand il se rendait sur son lieu de travail à vélo, mon père croisait le chemin de ceux qui avait fini le leur. Un peu lasses de leur journée, les jeunes femmes hâtaient le pas et peu lui prêtaient attention. Sauf ma mère qui avait déjà remarqué ce cycliste mystérieux. Un soir, n’y tenant plus, elle lui demanda effrontément où il se rendait et si on y dansait ? Sensible aux moqueries, celui-ci ne répondit pas. Tout à coup, il la vit porter la main à son front, chanceler et s’affaisser sans bruit tel un pétale de fleur. Il descendit de son vélo et ma mère accepta sa main tendue. Elle prit place sur le porte-bagage et ils disparurent après avoir passé les dernières maisons du bas près de la rivière.

 

Quand ils réapparurent, tard dans la soirée, ils se tenaient par la main. Les cerises coquines, accrochées à leurs oreilles, et leurs joues rosies trahissaient la profondeur de leurs sentiments. 

 

                                                                                                                                        (MV)


Souvenirs humides de 1989, année érotico-militante. 

Nous furent nombreux l’été 89 à nous retrouver au fin fond de cette montagne détrempée, un gout pour les révolutions nous y avait menés tout droit. Nous faisions la cueillette du café en solidarité avec les paysans d’un minuscule pays d’Amérique Centrale en guerre contre un voisin surpuissant et sans gêne. La journée, dès cinq heures du matin, nous grimpions jusqu’aux champs par des sentiers boueux et glissants, il pleuvait tous les jours, c’était bon pour les caféiers mais nos vêtements n’avaient pas le temps de sécher, le matin on les enfilait mouillés, au fil des jours nos pulls moisissaient. 

La nuit nous partagions un sommaire hangar en planches avec des Allemands et des Napolitains, les uns ne pensant qu’à conserver leur bonne santé (ils avaient toute une malle de médicaments), les autres passant leurs soirées à cuisiner minestrone et pasta en chantant O Sole mio. A part moi et deux  copains qui préférions partir en quête de rhum, le groupe de Français pratiquait la réunionite aigue. Aucun confort bien sûr mais des colibris entraient souvent nous saluer, on n’en demandait pas plus. C’était terriblement romanesque et je suis bien sûr tombée amoureuse d’un beau garçon, un normand qui adorait la pluie, et le rhum. Nous avons cousu ensemble nos 2 sacs de couchage (il avait un nécessaire de couture dans son bagage !) et nous nous sommes bricolé un petit coin tranquille, c’était merveilleux. 

Pour faire un brin de toilette en rentrant des champs, on escaladait la montagne jusqu’à un tuyau d’arrosage qui descendait l’eau d’une maigre source et d’où coulait en permanence un filet d’eau marron. Il ne fallait pas être pressé, nous étions quelques dizaines à attendre notre tour. C’est cette eau boueuse que nous buvions, un comprimé d’hydrochloroquine (qui a fait tant parler d’elle ces derniers temps) dans la gourde la rendait très potable, nous n’avons jamais été malades.

Quel bel été !

Nota bene : cette histoire a duré, plus tard nous avons eu une fille, il a refusé que je l’appelle Kalachniki, on a opté pour Elise. (ND)


                                                                                    ****


Elle préfère rester seule, il y a tant d’ami(e)s avec lesquels partager des instants sans aucune contrainte.

Elle est forte. Façade ! Elle ne veut plus souffrir de ces amours éphémères qu’elle croyait éternels. Quelle gourde !! 

Chercher l’âme sœur, billevesée !! Tant de mondes à découvrir. 

Baliverne. Elle souffre de cet abandon. Et le décor féérique de ce bord de mer ne change rien à son chagrin.

Le sable colle. Le temps est moite en septembre.

Elle ne risque pas de rencontrer la passion en ces jours de pluie au bord de l’eau. Pas une larve, pas le moindre petit limaçon, encore moins l’amour !

Ah tiens, au bout de la digue, un pêcheur s’agite et sa nuque blanche fraichement tondue dépasse de son ciré.

Il agite les bras, ça mord ; elle s’apprête à s’enfuir vers un coin plus tranquille. Trop tard, sa curiosité maladive prend le dessus et elle glisse presque pour le surprendre sans qu’il ne devine sa présence.

Un caillou la stoppe. Elle manque de choir dans un trou. Il se retourne, surpris, mais ne la voit pas. 

Mais qu’est-ce, il est énorme !! non pas lui, le poisson, enfin les deux.

Elle se penche, ça grouille là-dessous, près des piliers de la digue, c’est jaune, rouge, brillant…

Quelle idée de venir pêcher à la sortie des égouts de la ville !!

Ben tiens ils sont plus gros, plus gras et bien plus nombreux. 

Et là, elle l’aperçoit, accroché au pilier. Il est beau, fort. Il semble ne pas sentir les embruns le bousculer. Les eaux usées chargées de déchets de toutes sortes le fouettent au passage. Il les ignore mais se méfie des poissons avides et gourmands.

Waouh c’est la foudre, le coup de foudre.

Elle l’aime déjà. Leurs regards se croisent et restent figés. Mais que fait-il là ?

Il entreprend de la rejoindre sans détacher son regard du sien. Il glisse, choit puis repart à l’assaut.

Au prix d’efforts réitérés, il parvient au ponton, se défiant du pêcheur qui cherche ses appâts au fonds d’un petit panier en osier.

Et là, bien calés derrière le panier en osier du pêcheur, ils se rapprochent, se blottissent, heureux de se trouver. D’un léger bond il se précipite sur une miette, deux miettes, un trognon de pomme, résidus du repas du pêcheur. Et il lui ramène. Et elle est heureuse, petite larve d’avoir trouvé son limaçon. 

Et ils savent qu’ils vont s’aimer longtemps, doucement. Enfin, le temps que vivent les limaçons. (NC)


                                                                                        ***


Des égouts et des douleurs

 

Elle, c'est Aïcha.

Habite la ville basse.

Parents émigrés du Maroc depuis déjà bien longtemps et installés en France pour construire des barres d'immeubles et faire le ménage.

Jeune fille belle comme le jour avec ses yeux noir profond, sa taille mince et des chansons toujours aux lèvres.

 

Lui, c'est Alban.

Perché dans la ville haute, les "beaux quartiers".

Blond aux yeux gris comme ses ancêtres venus du Nord.

Il aime trainer dans les rues avec ses copains. Une bande de petits loustics, dans les quinze – dix-sept ans, qui ne manquent aucune occasion de se faire remarquer.

Quelques bagarres à leur actif, des vols à l'étalage, mais rien de bien méchant.

 

Aïcha avait rejoint un groupe également. Des gens qui, malgré les vœux pieux pour ne pas tomber dans le communautarisme, venaient tous de l'autre côté de la Méditerranée.

Les filles, dans le "club" comme ils l'appelaient, étaient la plupart du temps mises à l'écart des agissements masculins.

Que faisaient les garçons certains soirs ?

Quelques-uns revenaient tard avec des yeux pochés, des petites blessures. Ecchymoses mais bouches closes ! Silence absolu ! Secret défense !

 

Tous - ceux du haut comme ceux du bas - et tous les jeunes de la ville, fréquentaient les mêmes lieux : écoles, collèges, lycée, cinémas, MJC, stades, piscines, discothèques…

Les regards en coins, les insultes fusaient alors entre les groupes. Parfois ça se terminait sur le parking d'un centre commercial et chaque bande repartait après quelques gnons et des flots d'injures.

 

Ce soir-là, Alban était venu seul dans la discothèque. Ses potes avaient choisi d'aller au bowling mais lui n'avait pas trop envie d'aller dégommer des quilles blanches.

Aïcha, accompagnée d'une jeune voisine et avec l'autorisation des parents, était venue elle aussi pour danser. Sans le reste de la bande qui était parfois lourde à trimballer.

Alban n'avait jamais remarqué cette jolie petite brune, mais ce soir-là il ne vit qu'elle.

Une première danse, une seconde, un pot au bar, tous deux libres du poids des autres.

Ils avaient des ailes !

Une troisième danse et puis une sortie dans l'air frais de la nuit pour fumer une clope.

La flamme du briquet qui s'approche du visage.

Les beaux yeux dans la lueur vacillante de la flamme.

Les lèvres qui se joignent…

 

◊◊◊

 

Leurs amours furent loin d'être simples. Il fallait jongler avec les emplois du temps, le lycée, les parents et surtout… la bande ! Mais l'amour qui était né était devenu si fort qu'ils trouvaient  souvent des solutions malgré les obstacles.

 

Un après-midi qu'Aïcha rejoignait son amoureux en séchant un cours, son grand frère qui aurait dû travailler à ce moment, rentra plus tôt que prévu. Une panne électrique au garage où il était mécanicien l'ayant libéré en avance.

Passant avec sa moto, il aperçut au loin sa jeune sœur.

À cette heure-là, elle aurait dû être en cours !

Elle courait en regardant constamment autour d'elle.

Intrigué, Mokhtar rangea sa moto rapidement et la suivit discrètement. Bien entendu, il arriva à l'endroit où les amants s'étaient donné rendez-vous. Se cachant, il assista à leurs baisers, à leur tendresse. Bouillant de fureur, il songea d'abord à intervenir. À défoncer la gueule de ce salaud de petit blond qu'il avait déjà aperçu dans la bande adverse. Ce ramassis de connards qui les regardaient souvent de haut et qui les méprisaient, lui et ceux d'en bas.

Mais une meilleure idée venait subitement de germer dans sa tête.

 

◊◊◊

 

Le samedi suivant, Alban et toute la bande décidèrent joyeusement d'aller assister au marathon qui allait se dérouler dans les rues de la ville. Et peut-être l'occasion d'y faire quelques tours pendables…

 

Ceux d'en bas montèrent aussi vers les boulevards, mais avec une autre intention que d'être de simples spectateurs.

Aïcha avait mis une belle robe blanche et sous le prétexte qu'il lui fallait du temps pour se préparer, elle avait déclaré à ceux du "club" qu'elle les rejoindrait plus tard. En fait elle devait retrouver Alban et se fondre dans la foule avec lui.

Avec un peu de difficulté elle le retrouva. Il sut habilement la rejoindre en se séparant de la bande.

C'était relativement aisé dans l'affluence.

Le couple s'éloigna de la multitude. Un peu à l'écart ils se prirent par la main. Ils n'avaient fait que quelques pas quand, face à eux, à une vingtaine de mètres, la bande du bas avec en son centre Mokhtar se déployait, menaçante.

 

Alban saisit le bras d'Aïcha et l'entraîna dans une course folle. Ils coururent, coururent. Mokhtar et le "club" les poursuivaient. Alban pris soudainement une petite ruelle sur la droite, puis après quelques mètres ils entrèrent dans une cour d'immeuble. C'était un cul-de-sac !

Sur le côté, le jeune homme aperçut une plaque de fonte au sol. Il la souleva. Des échelons métalliques descendaient vers le noir.

Aïcha, essoufflée, apeurée, hésitait. L'odeur venue du fond était abominable. Mais, entendant la bande qui s'approchait en braillant, elle suivit Alban.

Il était trop tard pour  replacer la plaque de fonte, il ne restait plus qu'à fuir aussi vite que possible.

Les deux amants se retrouvèrent les pieds dans l'eau.

Une eau brunâtre à l'odeur écœurante.

Alban tenait ferme la main d'Aïcha qui suivait avec peine. Sa robe blanche toute tachée se plaquait contre ses cuisses. Elle respirait avec difficulté l'air empuanti.

Le jeune homme avait allumé son briquet pour mieux poursuivre leur course éperdue.

Curieusement les cris des poursuivants ne parvenaient plus jusqu'à eux.

Avaient-ils renoncé ?

N'avaient-ils pas saisi leur entrée dans la cour de l'immeuble ?

Pour l'instant tout semblait calme hormis la fuite de quelques rats et le clapotis de leur avance dans l'infect cloaque.

 

Entre leurs ombres qui se projetaient, mouvantes sur les voûtes du boyau, un escalier de marches métalliques scellées dans le mur apparut soudain. Alban grimpa, souleva une plaque de fonte semblable à la précédente et le jour apparut.

Ils émergèrent tous deux dans une petite impasse, derrière le grillage d'une petite usine.

Après avoir refermé la plaque métallique, le premier souci d'Alban fut d'échanger un long baiser avec sa compagne. Il sentait le cœur de la petite qui battait la chamade au travers des tissus trempés de leurs vêtements.

 

En fait, leurs épreuves ne faisaient que commencer.

Quel avenir pour eux après cette aventure ?

Comment affronter les parents, le grand frère et… la bande ?

Faudra-t-il renoncer à leur amour ?

 

◊◊◊

 

Aïcha se réveilla trempée de sueur.

L'horrible cauchemar !!!

Le soleil commençait à percer derrière le rideau de la chambre qu'elle partageait avec sa petite sœur.

C'était samedi et cet après-midi il fallait qu'elle se fasse belle pour aller assister au marathon.

En face d'elle, bien étalée sur une chaise : sa belle robe blanche.

(AB)


                                                                                        ***

Histoire d’insecte


Voilà une bien triste histoire relatée dans le mensuel des “Entomologistes associés”


Elle était née dans une fleur de pissenlit, la pauvrette, sur un doux pétale éclatant, à côté d’une goutte d’eau translucide qui grelottait en ce matin frais de printemps.


Quelle imprudence, la joliette car aussitôt née et encore un peu abasourdie, elle secoua ses jolis ailes à pois. Ses quatre élytres firent devant ses ouïes minuscules un bruit assourdissant. 


Toute émoustillée, mûe par le désir de connaître le monde, elle réussit son envol.

D'abord chaotique, sa trajectoire se redressa et la propulsa sur le rebord de la fenêtre de la maison de Faustine.

Faustine prenait son bain, celui du dimanche matin. Rien n’était plus important que cette pause voluptueuse. Elle y consacrait plus d’une heure à méditer dans l’eau chaude et à laisser son âme vagabonder sur les nuages de mousse parfumée.


La petite fenêtre de la salle de bains était restée ouverte. La coccinelle, tous les sens aux aguets, trottina sur le rebord du carrelage, glissa sur la faience et  fonça dans l’air moite pour se poser délicate sur l’épaule de Faustine. 


Rien ne se passa pendant une heure. On entendait seulement le clapotis du bain et le crissement des doigts de Faustine sur le rebord de la vasque. 


Soudain, une gigantesque vague submergea le repaire de l’insecte. Un énorme bruit tel le grondement d’un dragon accompagna ce tourbillon dont l’épicentre aspira toute l’eau en quelques secondes. 


Notre belle bestiole glissa et valdinga dans la tourmente.


Son voyage cauchemardesque démarra à cet instant. Elle s’étouffait les pattes prises dans l’eau gluante. La mousse légère se transforma en une grisâtre pâte graisseuse  

L'obscurité et la pestilence devinrent son univers.


Plus de belle Faustine à la peau douce. La coccinelle cracha l’eau de l’égout, toussa pour éliminer les bactéries mais le cloaque silencieux se referma sur la misérable. 


Ses yeux tristes virent l’éclat de la lumière inonder l'épaule de Faustine une dernière fois avant de se refermer pour l’éternité.

(MSM)


                                                                                    ***


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