lundi 14 mars 2022

Que d'eau! Que d'eau ! (3)

A partir de phrases tirées au hasard du premier exercice (Sei Shonagon) écrire une courte nouvelle intégrant le passage à l’endroit où l'on veut. 


Marine court pour attraper son bus. 

Florian l’attendra-t-il encore longtemps ?

Il est sous le porche de l’immeuble en haut de la place Blanche.

Il a promis qu’ils iraient déjeuner au bord de la rivière toute proche.

Elle est triste. Encore une fois le professeur Rivet l’a tancé pour son manque d’attention au cours d’informatique. 

Elle déteste l’informatique et surtout le codage. C’est bon pour les endives ! 

Marine ne tient pas en place. Elle aime s’évader en cours de littérature ou de physique quand elle apprend la résistance des matériaux appliquée au viaduc de Millau.

Quittant le bus, essoufflée par sa course, absorbée par ses pensées contrariantes, elle longe à pas rapides les façades ocres donnant sur la rue. Et plouf, elle reçoit une douche inattendue du premier étage de l’immeuble de la pâtisserie où Madame Donzel arrose copieusement ses géraniums. 

Ces géraniums, quelle plaie, ils éloignent les moustiques parait-il. 

Ce n’est qu’une lubie de vieux. Il y a en a chez sa mémé Ninette, chez toutes les grand-mères de ses amis et même chez celle de Florian. Qu’ont-elles toutes ces grand-mères à aimer ces fleurs ? Elles sentent la résignation, campées dans des pots tristes, accrochés aux fenêtres de la maison de retraite de la rue Blanche.

Absorbée par ses pensées, râlant après Mme Donzel retournée à son tricot ignorant son forfait, Marine ne voit pas que la chaussée, enduite de l’huile laissée par les véhicules qui circulent, devient dangereuse. Elle trébuche et chute lourdement dans le caniveau boueux. On ne se moque pas impudemment des fleurs de la détresse.  

Sa robe, lourde de boue, colle à son corps, indécente. Elle retient ses larmes. Sont-ce ces vives contrariétés ou cette déception de se montrer si pâle, le rimmel coulant sur ses joues ?

Elle aperçoit Florian. Il sourit puis s’alarme. Il est inquiet. Il court vers elle, l’aide à se relever tout en cherchant des yeux un endroit où elle pourrait se laver. La rivière, au bout du pont ! 

Il la tient contre lui, sa veste s’imbibant lentement de boue. Son côté gauche s’alourdit. Il titube. Ils approchent des remous et s’avancent dans l’eau, leurs vestes pardessus tête. Brr brrr elle est froide, si froide qu’ils frissonnent. Leurs corps se couvrent d’écailles.

Ils ressortent et courent chez Bérénice, la sœur aînée de Marine. Sa maison est proche du pont, le jardin descend en pente douce jusqu’au rivage. 

Bérénice, qui s’active en cuisine les aperçoit de la fenêtre. Elle s’élance, leur ouvre grand la porte, leur glisse à chacun une serviette attrapée au passage et les conduit près de la cheminée où se consume des buches rougeoyantes.

L’eau qui ruisselle sur les joues de Marine cache sa peine, sa rage contre le Professeur Rivet, contre Madame Donzel… et contre Florian qui a oublié le pique-nique. Elle a faim maintenant.

(NC)

                                                                            ***


Un rideau de pluie devant les yeux, il ne voit plus rien. Il se gare à 100 m de la maison, hors de portée. . Surtout, qu’elle ne croie pas qu’il pleure, surtout qu’elle n’imagine pas qu’il a du chagrin et qu’elle va encore pouvoir le consoler. 

 Il est sûr qu’elle l’attend sur la terrasse. Elle l’attend toujours sur la terrasse, faussement calme, les mains fébriles. Jamais un mot de reproche, même s’il a plusieurs heures de retard et qu’il a oublié de la prévenir par le sms rituel.

Elle l’attend sur la terrasse. Le chat de la maison contemple. Elle, elle fait semblant. Le son de la pluie glisse, goutte à goutte, des tuiles du toit. Un clip-clop mortel d’ennui.  Il hait la terrasse et le chat qui contemple et elle qui fait semblant.

 Il va le lui dire que l’ennui qu’elle secrète le paralyse, que sa mélancolie tout juste un peu posée lui coupe les ailes.

C’est aujourd’hui qu’il s’envole, c’est aujourd’hui qu’il le lui dit. C’est un beau temps pour le chagrin.

(GV)


                                                                                        ***


Les giboulées de mars se sont déplacées en avril, tant mieux elles n’en sont que plus tièdes. Je lève le nez vers les nuages, je laisse le ciel me doucher, j’observe l’eau s’échapper de mes poings fermés. Je n’essaie pas de la retenir, je la respire. Y a-t-il un mot pour dire l’odeur de la pluie ? Un joli mot ? Qu’une chose belle ait un nom laid m’est inconfortable ; je renâcle par exemple devant  « pétrichor » (nom bizarre du parfum de la terre abreuvée par l’averse), le dictionnaire a beau me dire que les anciens Grecs y entendraient « pierre-fluide des dieux », il ne me convainc pas. Pétrichor ! Si c’est un outil pour masseur-kinésithérapeute je veux bien, ou pour le boulanger peut-être, à la limite, une sorte de pétrin…  Mais pour dire l’odeur de la terre mouillée, ah non ! Tant pis, il n’y a pas de mot non plus pour le parfum de l’herbe coupée, ni pour celui du pain dans le four, je continuerai à les respirer plutôt que de les dire (la chimiste australienne qui en 1964 a inventé cet horrible « pétrichor » avait pourtant un bien beau nom : JOY-BEAR Isabelle = JOIE-DE-L’OURS Dieu-protège-ma-maison).

(ND)                                                                          ***


Marilyn sauta de la voiture surchauffée. Cela avait assez duré ! Deux heures qu’ils étaient coincés entre l’île et le continent.

  Je vous signale que l’eau atteint le bas de la caisse, dit-elle d’un ton ironique en s’adressant aux deux garçons. Elle ne voit de Maurice que son dos, sa tête est plongée dans le moteur. Karim, au volant, sifflote et appuie par à-coups sur l’accélérateur. 

  Vous vous obstinez pour rien ! La voiture va patiner quand la marée sera haute ! ajoute-t-elle. Ils font comme si elle n’existait pas. Cette balade, pour voir le soleil se coucher sur la mer, est en train de virer au drame. Elle leur jette un regard chargé de mépris et décide d’aller chercher une bière à l’arrière. Mais le coffre est vide ! Elle retient les propos acerbes qui lui montent à la bouche. À quoi bon leur faire des reproches !

La réparation s’éternise… Par dépit, elle ramasse au passage sa gourde en plastique sur le siège et boit une gorgée. Elle pense qu’il lui faut trouver un endroit sec pour attendre. Elle repère non loin une petite dune où elle pourra se soulager, en se dissimulant derrière. Elle l’atteint avec peine sous le soleil qui pèse. Elle la gravit et profite de la vue dégagée. Les garçons fument en silence.

Elle s’installe dans un creux et ressent immédiatement l’inconfort de la situation. La touffe d’herbe – si cela mérite le nom d’herbe – sur laquelle elle s’est assise lui pique les fesses. Les larmes lui montent aux yeux : l’eau salée puis les fourmis rouges ! Noyée ou dévorée ! Elle réfléchira la prochaine fois avant d’accepter une excursion…

Elle fixe la ligne de la côte si proche. Elle perçoit un mouvement. Là-bas ! Un véhicule ! Un véhicule qui avance dans leur direction ! Enveloppé de gerbes d’eaux jaillissant des côtés et qui lui font comme deux grandes ailes ! Elle dévale la dune en agitant les bras. Emue, elle rit et pleure à la fois.

  Ici ! Par ici ! Je suis là ! Au secours ! s’époumone-t-elle. Les gardes-côtes stoppent à sa hauteur : deux gaillards aux yeux clairs. Installée entre eux sur le siège avant, elle finit l’eau tiède de sa gourde en plastique. Quelle aventure exaltante et quel dénouement électrisant ! 

 

Au fond… elle n’en a jamais douté!  (MV)

                                                                                      ***



Elle, c’est Sarah, une longue fille blonde, jambes fines et escarpins vernis.

Elle porte élégamment un imperméable gris clair dont les plis réguliers glissent sur ses hanches. 

Sarah traverse la rue du Grand-Palais, saute du trottoir en évitant la flaque qui s’est formée tout au long du caniveau. Son foulard de soie virevolte à chaque bourrasque. Il fait déjà nuit, la pluie ne cesse pas. Les vitrines étincellent sous les myriades de gouttes d’eau glissantes et muettes.

Sarah avance rapidement, déterminée, le regard droit, le bout du nez un peu relevé. Pas de parapluie, prêté à une amie la veille. La jeune femme aime marcher dans Paris. Il pleut souvent ces derniers mois mais pas question de prendre un taxi. Elle préfère goûter la froideur de l’eau sur son visage.

Voilà la Seine, cette nuit l’eau dépassera les piles du pont neuf où elle va si souvent flâner, enfin les quais, Rue de Rivoli,…

L’entrée du  Louvre ! Son palais. Ce soir plus de voitures sur le parking.  Encore une heure d’ouverture. 

 Elle montre son badge au gardien. Vite salle  77, nous y voilà enfin. 

“Oui "souffle-t-elle bien sûr ! La main du jeune rescapé…ma restauration est encore trop approximative, le bitume de Judée avec le temps a noirci l’ombre de la main et  je n’ai pas utilisé le bon vert. Cet émeraude est bien trop pâle. Et la bague ne brille pas assez. 

Demain sans faute, j’en parle à Mr Pellegrin, il me faudra un amalgame de Véronèse, essence d'œillette, et poudre d’or…


Sinon le Radeau de la Méduse ne sera plus ce qu’il était ! (MSM)


                                                                                ***


Le réveil sonne dans la suite parentale. Il est 6 heures. C’est pourtant bien dimanche, jour de repos… ou, comme chaque année au mois de mars, jour de pêche. La saison a commencé, François l’attendait. 

Le rythme effréné des semaines de travail, les obligations quotidiennes du jeune père de famille, les attentes toujours plus folles d’une épouse exigeante… tout cela mérite bien la pause tant attendue de cet instant pour soi, de cette parenthèse de pêche. 

Il est 7 heures, François est prêt. Il part tel un voleur masqué dans sa petite voiture électrique. Il part avec sa canne, ses leurres et tout son matériel préparé méthodiquement la veille… Il s’en va conquérir sa rivière préférée, loin de tout, près de lui. 

7h30, il y est. Elle est là, elle l’attend… toujours si belle, toujours si fidèle. Elle coule, il marche. Elle scintille, il l’admire. Elle avance, il recule. Elle ruisselle, il l’appelle : « oh, ma belle, tu m’as tant manqué ! »

François entame alors la remontée du fil ruisselant à ses bottes. Il marche dans le lit de la rivière sur les pierres bosselées fraiches et moussues. L’eau vive court, l’eau file à travers les rochers. Il la suit … à la recherche du lieu propice à une pèche endimanchée : toujours le même endroit, quelques mètres plus haut. 

Une heure s’est écoulée, il l’a trouvé : son rocher, son goure, son repère. Il entre en piste et débute la danse en lançant avec vigueur sa canne à pêche, le regard au loin. Le fil de pêche, si fin, si fort, fouette la surface de l’eau avec délicatesse et précision pour laisser plonger le leurre à quelques mètres de lui. 

Il avance un peu, avec lenteur, vers les profondeurs, pour atteindre le niveau d’eau optimal. 

Ça y est, la connexion est en cours : adieu wifi, modems, et serveurs qui font son quotidien de webmaster informaticien. Bonjour fil de pêche et « green connexion » avec l’essentiel, son essentiel. 

La danse peut commencer : il attend, il se pose, il regarde, il écoute, il patiente et contemple… Puis il libère sa main gauche, toujours la même, pour la laisser voguer quelques minutes dans l’eau fraiche du courant. Son petit rituel porte bonheur comme il dit : observer l’eau s’échapper de son poing fermé et essayer de la retenir, comme si cet acte impossible lui donnait le pouvoir de maitriser cet élément. 

Chaque fois la même danse, chaque fois la même routine, chaque fois le même endroit … mais jamais le même poisson. 

C’est, parait-il, lui qui décide… ou plutôt elle qui choisit. Mais François, lui, ne fait que passer. l’eau continuera de couler.  (NL)






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