lundi 14 mars 2022

Que d'eau ! Que d'eau ! (4)

 atelier 4



Consigne: une histoire d'amour sur le thème des eaux usées


LE TEMPS DES CERISES

 

C’est à Charmes sur Céz que se sont rencontrés mes parents,  un village réputé pour ses cerisaies. Comme de nos jours, au printemps, les vergers en bord de la rivière Céz connaissaient une merveilleuse floraison. Cette explosion de fleurs attirait une foule de curieux des régions voisines. Profitant de ce moment féérique, la jeunesse flirtait sur les tapis de pétales blancs. Entre les regards échangés et les promesses légères, certains franchissaient le pas et se donnaient rendez-vous à la récolte prochaine. Quarante jours à patienter fiévreusement avant de se retrouver…

 

Ma mère, arrivée du nord du pays, comptait rester quelques mois occupée à la cueillette des griottes et bigarreaux. Tôt le matin, elle rejoignait ses compagnons de travail. Les rues résonnaient de « Bonjour » joyeux. Aux champs, grimpés sur des échelles, ils cueillaient et leurs paniers se remplissaient. Mais pas si vite que cela car en parlant ou chantant, ils mangeaient aussi beaucoup de ces fruits rouges, juteux et si sucrés ! Certains ne se donnaient même pas la peine de cracher le noyau… ils l’avalaient tout simplement ! 

 

Toutes ces cerises englouties les obligeaient à se rendre très souvent aux toilettes publiques du village. L’installation sommaire devait gérer un flux inhabituel.  Les chasses d’eaux évacuaient ces matières vers un unique collecteur jusqu’à un filtre général où ce qui n’était pas élément liquide se déposait en couche épaisse. C’était le travail de mon père d’assurer l’entretien et le nettoyage quotidien du filtre. Son rôle était indispensable car s’il devait, en cette saison, s’absenter plus d’une journée, le village retenait son souffle. Tous les noyaux de cerises accumulés, stoppés par le filtre, bouchaient le système. Ne pouvant plus s’écouler jusqu’à la rivière, les eaux sales remontaient à leur lieu d’origine. Il s’ensuivait des effluves dont l’odeur masquait celle des cerises à maturation ! Pour les habitants, la vie à Charmes alternait entre des senteurs florales ou fétides…

 

En fin d’après-midi, quand il se rendait sur son lieu de travail à vélo, mon père croisait le chemin de ceux qui avait fini le leur. Un peu lasses de leur journée, les jeunes femmes hâtaient le pas et peu lui prêtaient attention. Sauf ma mère qui avait déjà remarqué ce cycliste mystérieux. Un soir, n’y tenant plus, elle lui demanda effrontément où il se rendait et si on y dansait ? Sensible aux moqueries, celui-ci ne répondit pas. Tout à coup, il la vit porter la main à son front, chanceler et s’affaisser sans bruit tel un pétale de fleur. Il descendit de son vélo et ma mère accepta sa main tendue. Elle prit place sur le porte-bagage et ils disparurent après avoir passé les dernières maisons du bas près de la rivière.

 

Quand ils réapparurent, tard dans la soirée, ils se tenaient par la main. Les cerises coquines, accrochées à leurs oreilles, et leurs joues rosies trahissaient la profondeur de leurs sentiments. 

 

                                                                                                                                        (MV)


Souvenirs humides de 1989, année érotico-militante. 

Nous furent nombreux l’été 89 à nous retrouver au fin fond de cette montagne détrempée, un gout pour les révolutions nous y avait menés tout droit. Nous faisions la cueillette du café en solidarité avec les paysans d’un minuscule pays d’Amérique Centrale en guerre contre un voisin surpuissant et sans gêne. La journée, dès cinq heures du matin, nous grimpions jusqu’aux champs par des sentiers boueux et glissants, il pleuvait tous les jours, c’était bon pour les caféiers mais nos vêtements n’avaient pas le temps de sécher, le matin on les enfilait mouillés, au fil des jours nos pulls moisissaient. 

La nuit nous partagions un sommaire hangar en planches avec des Allemands et des Napolitains, les uns ne pensant qu’à conserver leur bonne santé (ils avaient toute une malle de médicaments), les autres passant leurs soirées à cuisiner minestrone et pasta en chantant O Sole mio. A part moi et deux  copains qui préférions partir en quête de rhum, le groupe de Français pratiquait la réunionite aigue. Aucun confort bien sûr mais des colibris entraient souvent nous saluer, on n’en demandait pas plus. C’était terriblement romanesque et je suis bien sûr tombée amoureuse d’un beau garçon, un normand qui adorait la pluie, et le rhum. Nous avons cousu ensemble nos 2 sacs de couchage (il avait un nécessaire de couture dans son bagage !) et nous nous sommes bricolé un petit coin tranquille, c’était merveilleux. 

Pour faire un brin de toilette en rentrant des champs, on escaladait la montagne jusqu’à un tuyau d’arrosage qui descendait l’eau d’une maigre source et d’où coulait en permanence un filet d’eau marron. Il ne fallait pas être pressé, nous étions quelques dizaines à attendre notre tour. C’est cette eau boueuse que nous buvions, un comprimé d’hydrochloroquine (qui a fait tant parler d’elle ces derniers temps) dans la gourde la rendait très potable, nous n’avons jamais été malades.

Quel bel été !

Nota bene : cette histoire a duré, plus tard nous avons eu une fille, il a refusé que je l’appelle Kalachniki, on a opté pour Elise. (ND)


                                                                                    ****


Elle préfère rester seule, il y a tant d’ami(e)s avec lesquels partager des instants sans aucune contrainte.

Elle est forte. Façade ! Elle ne veut plus souffrir de ces amours éphémères qu’elle croyait éternels. Quelle gourde !! 

Chercher l’âme sœur, billevesée !! Tant de mondes à découvrir. 

Baliverne. Elle souffre de cet abandon. Et le décor féérique de ce bord de mer ne change rien à son chagrin.

Le sable colle. Le temps est moite en septembre.

Elle ne risque pas de rencontrer la passion en ces jours de pluie au bord de l’eau. Pas une larve, pas le moindre petit limaçon, encore moins l’amour !

Ah tiens, au bout de la digue, un pêcheur s’agite et sa nuque blanche fraichement tondue dépasse de son ciré.

Il agite les bras, ça mord ; elle s’apprête à s’enfuir vers un coin plus tranquille. Trop tard, sa curiosité maladive prend le dessus et elle glisse presque pour le surprendre sans qu’il ne devine sa présence.

Un caillou la stoppe. Elle manque de choir dans un trou. Il se retourne, surpris, mais ne la voit pas. 

Mais qu’est-ce, il est énorme !! non pas lui, le poisson, enfin les deux.

Elle se penche, ça grouille là-dessous, près des piliers de la digue, c’est jaune, rouge, brillant…

Quelle idée de venir pêcher à la sortie des égouts de la ville !!

Ben tiens ils sont plus gros, plus gras et bien plus nombreux. 

Et là, elle l’aperçoit, accroché au pilier. Il est beau, fort. Il semble ne pas sentir les embruns le bousculer. Les eaux usées chargées de déchets de toutes sortes le fouettent au passage. Il les ignore mais se méfie des poissons avides et gourmands.

Waouh c’est la foudre, le coup de foudre.

Elle l’aime déjà. Leurs regards se croisent et restent figés. Mais que fait-il là ?

Il entreprend de la rejoindre sans détacher son regard du sien. Il glisse, choit puis repart à l’assaut.

Au prix d’efforts réitérés, il parvient au ponton, se défiant du pêcheur qui cherche ses appâts au fonds d’un petit panier en osier.

Et là, bien calés derrière le panier en osier du pêcheur, ils se rapprochent, se blottissent, heureux de se trouver. D’un léger bond il se précipite sur une miette, deux miettes, un trognon de pomme, résidus du repas du pêcheur. Et il lui ramène. Et elle est heureuse, petite larve d’avoir trouvé son limaçon. 

Et ils savent qu’ils vont s’aimer longtemps, doucement. Enfin, le temps que vivent les limaçons. (NC)


                                                                                        ***


Des égouts et des douleurs

 

Elle, c'est Aïcha.

Habite la ville basse.

Parents émigrés du Maroc depuis déjà bien longtemps et installés en France pour construire des barres d'immeubles et faire le ménage.

Jeune fille belle comme le jour avec ses yeux noir profond, sa taille mince et des chansons toujours aux lèvres.

 

Lui, c'est Alban.

Perché dans la ville haute, les "beaux quartiers".

Blond aux yeux gris comme ses ancêtres venus du Nord.

Il aime trainer dans les rues avec ses copains. Une bande de petits loustics, dans les quinze – dix-sept ans, qui ne manquent aucune occasion de se faire remarquer.

Quelques bagarres à leur actif, des vols à l'étalage, mais rien de bien méchant.

 

Aïcha avait rejoint un groupe également. Des gens qui, malgré les vœux pieux pour ne pas tomber dans le communautarisme, venaient tous de l'autre côté de la Méditerranée.

Les filles, dans le "club" comme ils l'appelaient, étaient la plupart du temps mises à l'écart des agissements masculins.

Que faisaient les garçons certains soirs ?

Quelques-uns revenaient tard avec des yeux pochés, des petites blessures. Ecchymoses mais bouches closes ! Silence absolu ! Secret défense !

 

Tous - ceux du haut comme ceux du bas - et tous les jeunes de la ville, fréquentaient les mêmes lieux : écoles, collèges, lycée, cinémas, MJC, stades, piscines, discothèques…

Les regards en coins, les insultes fusaient alors entre les groupes. Parfois ça se terminait sur le parking d'un centre commercial et chaque bande repartait après quelques gnons et des flots d'injures.

 

Ce soir-là, Alban était venu seul dans la discothèque. Ses potes avaient choisi d'aller au bowling mais lui n'avait pas trop envie d'aller dégommer des quilles blanches.

Aïcha, accompagnée d'une jeune voisine et avec l'autorisation des parents, était venue elle aussi pour danser. Sans le reste de la bande qui était parfois lourde à trimballer.

Alban n'avait jamais remarqué cette jolie petite brune, mais ce soir-là il ne vit qu'elle.

Une première danse, une seconde, un pot au bar, tous deux libres du poids des autres.

Ils avaient des ailes !

Une troisième danse et puis une sortie dans l'air frais de la nuit pour fumer une clope.

La flamme du briquet qui s'approche du visage.

Les beaux yeux dans la lueur vacillante de la flamme.

Les lèvres qui se joignent…

 

◊◊◊

 

Leurs amours furent loin d'être simples. Il fallait jongler avec les emplois du temps, le lycée, les parents et surtout… la bande ! Mais l'amour qui était né était devenu si fort qu'ils trouvaient  souvent des solutions malgré les obstacles.

 

Un après-midi qu'Aïcha rejoignait son amoureux en séchant un cours, son grand frère qui aurait dû travailler à ce moment, rentra plus tôt que prévu. Une panne électrique au garage où il était mécanicien l'ayant libéré en avance.

Passant avec sa moto, il aperçut au loin sa jeune sœur.

À cette heure-là, elle aurait dû être en cours !

Elle courait en regardant constamment autour d'elle.

Intrigué, Mokhtar rangea sa moto rapidement et la suivit discrètement. Bien entendu, il arriva à l'endroit où les amants s'étaient donné rendez-vous. Se cachant, il assista à leurs baisers, à leur tendresse. Bouillant de fureur, il songea d'abord à intervenir. À défoncer la gueule de ce salaud de petit blond qu'il avait déjà aperçu dans la bande adverse. Ce ramassis de connards qui les regardaient souvent de haut et qui les méprisaient, lui et ceux d'en bas.

Mais une meilleure idée venait subitement de germer dans sa tête.

 

◊◊◊

 

Le samedi suivant, Alban et toute la bande décidèrent joyeusement d'aller assister au marathon qui allait se dérouler dans les rues de la ville. Et peut-être l'occasion d'y faire quelques tours pendables…

 

Ceux d'en bas montèrent aussi vers les boulevards, mais avec une autre intention que d'être de simples spectateurs.

Aïcha avait mis une belle robe blanche et sous le prétexte qu'il lui fallait du temps pour se préparer, elle avait déclaré à ceux du "club" qu'elle les rejoindrait plus tard. En fait elle devait retrouver Alban et se fondre dans la foule avec lui.

Avec un peu de difficulté elle le retrouva. Il sut habilement la rejoindre en se séparant de la bande.

C'était relativement aisé dans l'affluence.

Le couple s'éloigna de la multitude. Un peu à l'écart ils se prirent par la main. Ils n'avaient fait que quelques pas quand, face à eux, à une vingtaine de mètres, la bande du bas avec en son centre Mokhtar se déployait, menaçante.

 

Alban saisit le bras d'Aïcha et l'entraîna dans une course folle. Ils coururent, coururent. Mokhtar et le "club" les poursuivaient. Alban pris soudainement une petite ruelle sur la droite, puis après quelques mètres ils entrèrent dans une cour d'immeuble. C'était un cul-de-sac !

Sur le côté, le jeune homme aperçut une plaque de fonte au sol. Il la souleva. Des échelons métalliques descendaient vers le noir.

Aïcha, essoufflée, apeurée, hésitait. L'odeur venue du fond était abominable. Mais, entendant la bande qui s'approchait en braillant, elle suivit Alban.

Il était trop tard pour  replacer la plaque de fonte, il ne restait plus qu'à fuir aussi vite que possible.

Les deux amants se retrouvèrent les pieds dans l'eau.

Une eau brunâtre à l'odeur écœurante.

Alban tenait ferme la main d'Aïcha qui suivait avec peine. Sa robe blanche toute tachée se plaquait contre ses cuisses. Elle respirait avec difficulté l'air empuanti.

Le jeune homme avait allumé son briquet pour mieux poursuivre leur course éperdue.

Curieusement les cris des poursuivants ne parvenaient plus jusqu'à eux.

Avaient-ils renoncé ?

N'avaient-ils pas saisi leur entrée dans la cour de l'immeuble ?

Pour l'instant tout semblait calme hormis la fuite de quelques rats et le clapotis de leur avance dans l'infect cloaque.

 

Entre leurs ombres qui se projetaient, mouvantes sur les voûtes du boyau, un escalier de marches métalliques scellées dans le mur apparut soudain. Alban grimpa, souleva une plaque de fonte semblable à la précédente et le jour apparut.

Ils émergèrent tous deux dans une petite impasse, derrière le grillage d'une petite usine.

Après avoir refermé la plaque métallique, le premier souci d'Alban fut d'échanger un long baiser avec sa compagne. Il sentait le cœur de la petite qui battait la chamade au travers des tissus trempés de leurs vêtements.

 

En fait, leurs épreuves ne faisaient que commencer.

Quel avenir pour eux après cette aventure ?

Comment affronter les parents, le grand frère et… la bande ?

Faudra-t-il renoncer à leur amour ?

 

◊◊◊

 

Aïcha se réveilla trempée de sueur.

L'horrible cauchemar !!!

Le soleil commençait à percer derrière le rideau de la chambre qu'elle partageait avec sa petite sœur.

C'était samedi et cet après-midi il fallait qu'elle se fasse belle pour aller assister au marathon.

En face d'elle, bien étalée sur une chaise : sa belle robe blanche.

(AB)


                                                                                        ***

Histoire d’insecte


Voilà une bien triste histoire relatée dans le mensuel des “Entomologistes associés”


Elle était née dans une fleur de pissenlit, la pauvrette, sur un doux pétale éclatant, à côté d’une goutte d’eau translucide qui grelottait en ce matin frais de printemps.


Quelle imprudence, la joliette car aussitôt née et encore un peu abasourdie, elle secoua ses jolis ailes à pois. Ses quatre élytres firent devant ses ouïes minuscules un bruit assourdissant. 


Toute émoustillée, mûe par le désir de connaître le monde, elle réussit son envol.

D'abord chaotique, sa trajectoire se redressa et la propulsa sur le rebord de la fenêtre de la maison de Faustine.

Faustine prenait son bain, celui du dimanche matin. Rien n’était plus important que cette pause voluptueuse. Elle y consacrait plus d’une heure à méditer dans l’eau chaude et à laisser son âme vagabonder sur les nuages de mousse parfumée.


La petite fenêtre de la salle de bains était restée ouverte. La coccinelle, tous les sens aux aguets, trottina sur le rebord du carrelage, glissa sur la faience et  fonça dans l’air moite pour se poser délicate sur l’épaule de Faustine. 


Rien ne se passa pendant une heure. On entendait seulement le clapotis du bain et le crissement des doigts de Faustine sur le rebord de la vasque. 


Soudain, une gigantesque vague submergea le repaire de l’insecte. Un énorme bruit tel le grondement d’un dragon accompagna ce tourbillon dont l’épicentre aspira toute l’eau en quelques secondes. 


Notre belle bestiole glissa et valdinga dans la tourmente.


Son voyage cauchemardesque démarra à cet instant. Elle s’étouffait les pattes prises dans l’eau gluante. La mousse légère se transforma en une grisâtre pâte graisseuse  

L'obscurité et la pestilence devinrent son univers.


Plus de belle Faustine à la peau douce. La coccinelle cracha l’eau de l’égout, toussa pour éliminer les bactéries mais le cloaque silencieux se referma sur la misérable. 


Ses yeux tristes virent l’éclat de la lumière inonder l'épaule de Faustine une dernière fois avant de se refermer pour l’éternité.

(MSM)


                                                                                    ***


Que d'eau! Que d'eau ! (3)

A partir de phrases tirées au hasard du premier exercice (Sei Shonagon) écrire une courte nouvelle intégrant le passage à l’endroit où l'on veut. 


Marine court pour attraper son bus. 

Florian l’attendra-t-il encore longtemps ?

Il est sous le porche de l’immeuble en haut de la place Blanche.

Il a promis qu’ils iraient déjeuner au bord de la rivière toute proche.

Elle est triste. Encore une fois le professeur Rivet l’a tancé pour son manque d’attention au cours d’informatique. 

Elle déteste l’informatique et surtout le codage. C’est bon pour les endives ! 

Marine ne tient pas en place. Elle aime s’évader en cours de littérature ou de physique quand elle apprend la résistance des matériaux appliquée au viaduc de Millau.

Quittant le bus, essoufflée par sa course, absorbée par ses pensées contrariantes, elle longe à pas rapides les façades ocres donnant sur la rue. Et plouf, elle reçoit une douche inattendue du premier étage de l’immeuble de la pâtisserie où Madame Donzel arrose copieusement ses géraniums. 

Ces géraniums, quelle plaie, ils éloignent les moustiques parait-il. 

Ce n’est qu’une lubie de vieux. Il y a en a chez sa mémé Ninette, chez toutes les grand-mères de ses amis et même chez celle de Florian. Qu’ont-elles toutes ces grand-mères à aimer ces fleurs ? Elles sentent la résignation, campées dans des pots tristes, accrochés aux fenêtres de la maison de retraite de la rue Blanche.

Absorbée par ses pensées, râlant après Mme Donzel retournée à son tricot ignorant son forfait, Marine ne voit pas que la chaussée, enduite de l’huile laissée par les véhicules qui circulent, devient dangereuse. Elle trébuche et chute lourdement dans le caniveau boueux. On ne se moque pas impudemment des fleurs de la détresse.  

Sa robe, lourde de boue, colle à son corps, indécente. Elle retient ses larmes. Sont-ce ces vives contrariétés ou cette déception de se montrer si pâle, le rimmel coulant sur ses joues ?

Elle aperçoit Florian. Il sourit puis s’alarme. Il est inquiet. Il court vers elle, l’aide à se relever tout en cherchant des yeux un endroit où elle pourrait se laver. La rivière, au bout du pont ! 

Il la tient contre lui, sa veste s’imbibant lentement de boue. Son côté gauche s’alourdit. Il titube. Ils approchent des remous et s’avancent dans l’eau, leurs vestes pardessus tête. Brr brrr elle est froide, si froide qu’ils frissonnent. Leurs corps se couvrent d’écailles.

Ils ressortent et courent chez Bérénice, la sœur aînée de Marine. Sa maison est proche du pont, le jardin descend en pente douce jusqu’au rivage. 

Bérénice, qui s’active en cuisine les aperçoit de la fenêtre. Elle s’élance, leur ouvre grand la porte, leur glisse à chacun une serviette attrapée au passage et les conduit près de la cheminée où se consume des buches rougeoyantes.

L’eau qui ruisselle sur les joues de Marine cache sa peine, sa rage contre le Professeur Rivet, contre Madame Donzel… et contre Florian qui a oublié le pique-nique. Elle a faim maintenant.

(NC)

                                                                            ***


Un rideau de pluie devant les yeux, il ne voit plus rien. Il se gare à 100 m de la maison, hors de portée. . Surtout, qu’elle ne croie pas qu’il pleure, surtout qu’elle n’imagine pas qu’il a du chagrin et qu’elle va encore pouvoir le consoler. 

 Il est sûr qu’elle l’attend sur la terrasse. Elle l’attend toujours sur la terrasse, faussement calme, les mains fébriles. Jamais un mot de reproche, même s’il a plusieurs heures de retard et qu’il a oublié de la prévenir par le sms rituel.

Elle l’attend sur la terrasse. Le chat de la maison contemple. Elle, elle fait semblant. Le son de la pluie glisse, goutte à goutte, des tuiles du toit. Un clip-clop mortel d’ennui.  Il hait la terrasse et le chat qui contemple et elle qui fait semblant.

 Il va le lui dire que l’ennui qu’elle secrète le paralyse, que sa mélancolie tout juste un peu posée lui coupe les ailes.

C’est aujourd’hui qu’il s’envole, c’est aujourd’hui qu’il le lui dit. C’est un beau temps pour le chagrin.

(GV)


                                                                                        ***


Les giboulées de mars se sont déplacées en avril, tant mieux elles n’en sont que plus tièdes. Je lève le nez vers les nuages, je laisse le ciel me doucher, j’observe l’eau s’échapper de mes poings fermés. Je n’essaie pas de la retenir, je la respire. Y a-t-il un mot pour dire l’odeur de la pluie ? Un joli mot ? Qu’une chose belle ait un nom laid m’est inconfortable ; je renâcle par exemple devant  « pétrichor » (nom bizarre du parfum de la terre abreuvée par l’averse), le dictionnaire a beau me dire que les anciens Grecs y entendraient « pierre-fluide des dieux », il ne me convainc pas. Pétrichor ! Si c’est un outil pour masseur-kinésithérapeute je veux bien, ou pour le boulanger peut-être, à la limite, une sorte de pétrin…  Mais pour dire l’odeur de la terre mouillée, ah non ! Tant pis, il n’y a pas de mot non plus pour le parfum de l’herbe coupée, ni pour celui du pain dans le four, je continuerai à les respirer plutôt que de les dire (la chimiste australienne qui en 1964 a inventé cet horrible « pétrichor » avait pourtant un bien beau nom : JOY-BEAR Isabelle = JOIE-DE-L’OURS Dieu-protège-ma-maison).

(ND)                                                                          ***


Marilyn sauta de la voiture surchauffée. Cela avait assez duré ! Deux heures qu’ils étaient coincés entre l’île et le continent.

  Je vous signale que l’eau atteint le bas de la caisse, dit-elle d’un ton ironique en s’adressant aux deux garçons. Elle ne voit de Maurice que son dos, sa tête est plongée dans le moteur. Karim, au volant, sifflote et appuie par à-coups sur l’accélérateur. 

  Vous vous obstinez pour rien ! La voiture va patiner quand la marée sera haute ! ajoute-t-elle. Ils font comme si elle n’existait pas. Cette balade, pour voir le soleil se coucher sur la mer, est en train de virer au drame. Elle leur jette un regard chargé de mépris et décide d’aller chercher une bière à l’arrière. Mais le coffre est vide ! Elle retient les propos acerbes qui lui montent à la bouche. À quoi bon leur faire des reproches !

La réparation s’éternise… Par dépit, elle ramasse au passage sa gourde en plastique sur le siège et boit une gorgée. Elle pense qu’il lui faut trouver un endroit sec pour attendre. Elle repère non loin une petite dune où elle pourra se soulager, en se dissimulant derrière. Elle l’atteint avec peine sous le soleil qui pèse. Elle la gravit et profite de la vue dégagée. Les garçons fument en silence.

Elle s’installe dans un creux et ressent immédiatement l’inconfort de la situation. La touffe d’herbe – si cela mérite le nom d’herbe – sur laquelle elle s’est assise lui pique les fesses. Les larmes lui montent aux yeux : l’eau salée puis les fourmis rouges ! Noyée ou dévorée ! Elle réfléchira la prochaine fois avant d’accepter une excursion…

Elle fixe la ligne de la côte si proche. Elle perçoit un mouvement. Là-bas ! Un véhicule ! Un véhicule qui avance dans leur direction ! Enveloppé de gerbes d’eaux jaillissant des côtés et qui lui font comme deux grandes ailes ! Elle dévale la dune en agitant les bras. Emue, elle rit et pleure à la fois.

  Ici ! Par ici ! Je suis là ! Au secours ! s’époumone-t-elle. Les gardes-côtes stoppent à sa hauteur : deux gaillards aux yeux clairs. Installée entre eux sur le siège avant, elle finit l’eau tiède de sa gourde en plastique. Quelle aventure exaltante et quel dénouement électrisant ! 

 

Au fond… elle n’en a jamais douté!  (MV)

                                                                                      ***



Elle, c’est Sarah, une longue fille blonde, jambes fines et escarpins vernis.

Elle porte élégamment un imperméable gris clair dont les plis réguliers glissent sur ses hanches. 

Sarah traverse la rue du Grand-Palais, saute du trottoir en évitant la flaque qui s’est formée tout au long du caniveau. Son foulard de soie virevolte à chaque bourrasque. Il fait déjà nuit, la pluie ne cesse pas. Les vitrines étincellent sous les myriades de gouttes d’eau glissantes et muettes.

Sarah avance rapidement, déterminée, le regard droit, le bout du nez un peu relevé. Pas de parapluie, prêté à une amie la veille. La jeune femme aime marcher dans Paris. Il pleut souvent ces derniers mois mais pas question de prendre un taxi. Elle préfère goûter la froideur de l’eau sur son visage.

Voilà la Seine, cette nuit l’eau dépassera les piles du pont neuf où elle va si souvent flâner, enfin les quais, Rue de Rivoli,…

L’entrée du  Louvre ! Son palais. Ce soir plus de voitures sur le parking.  Encore une heure d’ouverture. 

 Elle montre son badge au gardien. Vite salle  77, nous y voilà enfin. 

“Oui "souffle-t-elle bien sûr ! La main du jeune rescapé…ma restauration est encore trop approximative, le bitume de Judée avec le temps a noirci l’ombre de la main et  je n’ai pas utilisé le bon vert. Cet émeraude est bien trop pâle. Et la bague ne brille pas assez. 

Demain sans faute, j’en parle à Mr Pellegrin, il me faudra un amalgame de Véronèse, essence d'œillette, et poudre d’or…


Sinon le Radeau de la Méduse ne sera plus ce qu’il était ! (MSM)


                                                                                ***


Le réveil sonne dans la suite parentale. Il est 6 heures. C’est pourtant bien dimanche, jour de repos… ou, comme chaque année au mois de mars, jour de pêche. La saison a commencé, François l’attendait. 

Le rythme effréné des semaines de travail, les obligations quotidiennes du jeune père de famille, les attentes toujours plus folles d’une épouse exigeante… tout cela mérite bien la pause tant attendue de cet instant pour soi, de cette parenthèse de pêche. 

Il est 7 heures, François est prêt. Il part tel un voleur masqué dans sa petite voiture électrique. Il part avec sa canne, ses leurres et tout son matériel préparé méthodiquement la veille… Il s’en va conquérir sa rivière préférée, loin de tout, près de lui. 

7h30, il y est. Elle est là, elle l’attend… toujours si belle, toujours si fidèle. Elle coule, il marche. Elle scintille, il l’admire. Elle avance, il recule. Elle ruisselle, il l’appelle : « oh, ma belle, tu m’as tant manqué ! »

François entame alors la remontée du fil ruisselant à ses bottes. Il marche dans le lit de la rivière sur les pierres bosselées fraiches et moussues. L’eau vive court, l’eau file à travers les rochers. Il la suit … à la recherche du lieu propice à une pèche endimanchée : toujours le même endroit, quelques mètres plus haut. 

Une heure s’est écoulée, il l’a trouvé : son rocher, son goure, son repère. Il entre en piste et débute la danse en lançant avec vigueur sa canne à pêche, le regard au loin. Le fil de pêche, si fin, si fort, fouette la surface de l’eau avec délicatesse et précision pour laisser plonger le leurre à quelques mètres de lui. 

Il avance un peu, avec lenteur, vers les profondeurs, pour atteindre le niveau d’eau optimal. 

Ça y est, la connexion est en cours : adieu wifi, modems, et serveurs qui font son quotidien de webmaster informaticien. Bonjour fil de pêche et « green connexion » avec l’essentiel, son essentiel. 

La danse peut commencer : il attend, il se pose, il regarde, il écoute, il patiente et contemple… Puis il libère sa main gauche, toujours la même, pour la laisser voguer quelques minutes dans l’eau fraiche du courant. Son petit rituel porte bonheur comme il dit : observer l’eau s’échapper de son poing fermé et essayer de la retenir, comme si cet acte impossible lui donnait le pouvoir de maitriser cet élément. 

Chaque fois la même danse, chaque fois la même routine, chaque fois le même endroit … mais jamais le même poisson. 

C’est, parait-il, lui qui décide… ou plutôt elle qui choisit. Mais François, lui, ne fait que passer. l’eau continuera de couler.  (NL)